« La réflexion sur l’avenir n’a de sens que si elle est permet de mieux réfléchir sur le présent et les tendances qui le façonnent »
(FB - 1998)
« Les forces anti-démocratiques et xénophobes de l’Europe ont toujours été attirées par le rêve d’unité européenne, la mystique de la Rome impériale »
(FB - 1998)
" Etre citoyen est un acte bénévole "
(FB - 2009)

Il est temps de faire tomber le « Mur de Paris »: 65 millions de Français prisonniers des élites parisiennes (Franck Biancheri, 2005)

Les banlieues sont bien entendu partout en France. Chaque grande ville a sa couronne de faubourgs, comme on les appelait autrefois. Et depuis une trentaine d’années, nombre de ces banlieues possèdent des quartiers qui se sont transformés en ghetto où la France a entassé un grand nombre d’immigrés et leurs enfants. Parallèlement, conscients du caractère explosif croissant de ces zones de sous-citoyenneté, dépourvues du minimum de services publiques (éducation, santé, culture, sport, ..) disponibles aux autres Français et rongées par un chômage massif, les élites françaises et l’Etat ont alternativement utilisé la charité et le « politiquement correct » (les socialistes) ou bien la force (l’UMP) pour acheter/imposer un calme relatif des banlieues.

 

Aucun projet de long terme, mobilisant le pays lui-même face à un problème structurel mettant en danger le tissu social français, n’a jamais été développé et encore moins mis en œuvre. Pourtant, comme tout en France commence et finit à Paris (pour le pire comme pour le meilleur), on peut imaginer un projet fort qui permette de résoudre le problème durablement : supprimer la banlieue en étendant Paris à sa Petite Couronne (passant ainsi de 20 à 40 arrondissements et ajoutant 2 millions de Parisiens à la ville) et en enterrant le périphérique et les principales entrées d’autoroutes dans la capitale, c’est-à-dire faire tomber le « Mur de Paris » qui à lui seul incarne le fossé entre les deux mondes du centre-ville et de la périphérie.

 

Mais avant de revenir plus en détail sur cette proposition, revenons sur la nature même de la crise actuelle.

 

La question des banlieues est emblématique en France non pas de l’échec du modèle d’intégration, qui fonctionne bien pour l’immense majorité des enfants d’immigrés ; mais d’une incapacité des élites, de l’Etat et de la société française à affronter efficacement la réalité du XXI° siècle.

 

S’il y avait eu échec du modèle d’intégration « à la française », ces jeunes auraient revendiqué au nom de l’Islam, ou pour le port du foulard islamique à l’école. Mais ils ne l’ont pas fait, et bien au contraire ils demandent l’égalité de traitement avec les autres Français.

 

En effet, avec son taux de mariage mixte de 25% (contre pratiquement quelques pour cents pour les minorités turques en Allemagne ou presque rien pour les communautés pakistanaises au Royaume-Uni), avec la mixité des « bandes » qui manifestent (chose impensable dans les pays qui ont choisi le multiculturalisme avant de l’abandonner ces dernières années suite aux prises de consciences post-11 Septembre qu’il était totalement inadapté à la situation européenne), le modèle français continue à être une solution qui fonctionne plutôt bien.

 

Les problèmes se posent ailleurs. Ils tiennent à une maladie beaucoup plus fondamentale de la société française qui prend la forme du renoncement de ses élites à affronter les problèmes essentiels, du renoncement de l’Etat à jouer son rôle sur l’intégralité de son territoire, du renoncement de la société dans son ensemble à reconnaître que l’intégration « à la française » a des contraintes, dont celle d’assurer une égalité de fait, et pas seulement formelle, à tous ses citoyens.

 

D’une certaine manière, cette absence de projet collectif, et du corollaire indispensable de toute vision d’avenir, à savoir la nécessité d’un effort collectif, d’un partage des efforts comme des résultats, touche aujourd’hui bien d’autres domaines que celui des banlieues. La disparition de tout projet français pour l’Europe en est un autre exemple, dû lui aussi à une cause centrale: le renoncement des élites à affronter la réalité pour se vautrer dans des luttes de pouvoir internes, au sein de leurs partis, de leur appareil d’Etat et de leurs centre-villes bien confortables

 

Le gouvernement actuel, et son Ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkosy, en particulier, porte une responsabilité essentielle dans le déclenchement des émeutes récentes. En tenant un discours provocateur et purement répressif pour des raisons électoralistes (séduire l’électorat du Front National), ce dernier est en train de connaître le destin de tous les apprentis-sorciers en se brûlant lui-même et en se faisant demain dépasser sur sa droite par plus démagogue que lui (voyez De Villiers). Parallèlement, en essayant d’introduire de manière répétée des composantes du modèle multiculturel qui a pourtant échoué partout en Europe (l’Allemagne, la Belgique, la Hollande l’ont désormais abandonné), via sa tentative de lier intégration et communautérisation, notamment religieuse ou celle visant à privilégier la discrimination positive qui ne sert là encore que la communautérisation, il a constamment porté ses dernières années des coups au processus d’intégration qui a lentement mûri à travers 150 ans d’immigration en France.

 

Parallèlement les années Chirac sont marquées par l’inexistence d’une tentative même vague de résoudre le problème de la ghettoisation de certaines banlieues. Là encore, en jouant sur l’insécurité pour discréditer son opposition de gauche, il n’a fait que servir son opposition de droite, sans rien résoudre. Il a même fait pire, en empêchant l’éclatement de ces ghettos via l’obligation pour chaque commune d’accueillir des logements sociaux. Le refus d’imposer cette obligation aux communes riches est un exemple flagrant d’irresponsabilité politique. Quant à la gauche, l’exemple du PS actuellement, préoccupé par ses querelles internes et votant des lois d’urgence, en dit long sur sa déconnexion de la réalité.

 

Gouverner, c’est prévoir. Et diriger, c’est orienter. Depuis près de deux décennies, il n’y a plus ni prévision, ni orientation au sommet de la France. Il n’y a plus que l’apparence du gouvernement et l’illusion d’une direction.

 

C’est donc bien l’ensemble des élites politiques (mais médiatiques et culturelles aussi qui entretiennent des relations quasi-incestueuses avec la première) qui sont responsables de ce renoncement, de ce refus infantile d’affronter la réalité en laissant les gens se débrouiller avec elle, au jour le jour.

 

Pour rester tranquille, ces élites se contentent de beaux discours, d’un peu de subventions et de supplétifs (travailleurs sociaux ou policiers) pour faire le sale travail. G.W.Bush et Tony Blair n’ont rien fait d’autres avec l’Irak et leur prétention d’y apporter la démocratie. Dans nos banlieues c’est l’égalité et la fraternité que travailleurs sociaux et policiers sont censés apporter.

 

Le problème des banlieues tient donc lui aussi essentiellement à la remise en marche de la démocratie qui impose aux élites de répondre aux attentes des citoyens et aux problèmes de la société, tout en proposant à ses citoyens des solutions qui rassemblent, qui respectent les valeurs de cette même société et qui permettent un jeu à somme positive où tous les acteurs gagnent, à condition qu’ils partagent les efforts communs.

 

Alors, si Paris joue bien son rôle d’entraînement du pays, c’est à Paris que doit commencer la transformation. Le gouvernement, l’Etat (car la haute administration doit également jouer son rôle d’impulsion) et les Parisiens doivent faire une offre irrésistible, emblématique et à la fois porteuse de changements concrets à la mesure du défi . Après 150 ans d’immobilisme, la frontière de Paris doit à nouveau bouger. Elle doit le faire rapidement et massivement, pour rattraper 150 ans de sclérose urbaine (le dernier arrondissement de Paris, le XX° a été créé en 1860). Les deux millions d’habitants de la Petite Couronne doivent savoir qu’ils sont bien des Parisiens à part entière, comme le sont leurs homologues de Londres, Berlin ou Rome (car Paris est la plus petite des grandes capitales européennes, avec deux millions d’habitants contre 2,6 à Rome, 3,5 à Berlin et plus de 7 millions à Londres).

 

Parallèlement, en devant parisiens, habitant d’un des 20 nouveaux arrondissements, outre leurs nouveaux pouvoirs politiques obligeant le maire de Paris a désormais prendre en compte leurs attentes (au lieu de se limiter à les inviter à Paris-Plage quand les Parisiens sont ailleurs en vacances ; ou comme son prédécesseur Tibéri, à dépenser des sommes folles pour son petit 5° arrondissement), ils découvriront le cœur du vaste projet de reconstitution du tissu urbain du « Grand Paris », à savoir l’enfouissement du périphérique et des principales entrées autoroutières dans la capitale afin de restaurer la fluidité des relations entre le cœur de Paris et son corps.

 

Voici l’axe d’une proposition, très « Newropeans » dans son esprit, qui s’inspirant de la situation des autres capitales d’Europe et de la situation réelle des modèles de gestion de l’immigration dans l’UE, peut proposer une vision d’avenir concernant l’une des grandes capitales de l’UE. Une telle réponse au problème des banlieues parisiennes aurait un effet d’entraînement immense pour les autres villes françaises et dans d’autres métropoles européennes.

 

Par ailleurs, elle donne une orientation à la politique de l’UE en la matière afin d’éviter que le milliard d’Euros dont a parlé hier le président de la Commission européenne Manuel Barroso ne finisse à nouveau en projets éphémères ou en palliatifs sans avenir.

 

C’est un projet sur 10 à 20 ans qui peut mobiliser durablement une génération entière de citoyens, d’élus locaux, d’associations, d’experts, d’architectes, d’urbanistes, de fonctionnaires et de politiciens nationaux.

 

Les Allemands et les Berlinois ont su faire en 15 ans de leur ville divisée et meurtrie une des plus modernes et agréables capitales d’Europe. Je n’ose croire que les Français et les Parisiens soient moins audacieux et compétents pour eux aussi « faire tomber leur mur », périphérique celui-ci, et affronter directement le défi de bâtir une capitale du XXI° siècle, au lieu d’entretenir une relique du XIX°e siècle.

 

Franck Biancheri, 29/11/2005

 


 

Note novembre 2018: Avec treize années d’avance Franck Biancheri annonçait la crise des Gilets Jaunes.

 

En novembre 2005 la France connaissait la flambée de ses banlieues. En novembre 2018 ce sont les citoyens périurbains, ou périruraux, qui s’enflamment et viennent bruler l’endroit le plus représentatif de leur capitale, les Champs Elysées, et en janvier le mouvement tente d’imposer Bourges comme centre névralgique de la France. Des symboles forts pour défaire le pouvoir centraliste français considéré comme détenu par une élite « parisianiste » qui refuse de voir que le progrès en France passe par la nécessaire restauration de la la « fluidité des relations entre le cœur de Paris et son corps. » Les analyses de Franck Biancheri sur la crise des banlieues de novembre 2005 que nous republions ci-dessous annoncent avec 13 années d’avance celle des Gilets Jaunes.

 

Le président Macron aura certes tenté de redonner une direction, mais la réponse via la dimension européenne vient trop tard alors que tous les paramètres sont aujourd’hui recentrés sur le niveau national et souverain.