« La réflexion sur l’avenir n’a de sens que si elle est permet de mieux réfléchir sur le présent et les tendances qui le façonnent »
(FB - 1998)
« Les forces anti-démocratiques et xénophobes de l’Europe ont toujours été attirées par le rêve d’unité européenne, la mystique de la Rome impériale »
(FB - 1998)
" Etre citoyen est un acte bénévole "
(FB - 2009)

La fin de l’Europe? Le rôle des puissances économiques européennes comme facteur d’affaiblissement de l’UE – Intervention de José Maria Compagni Morales pour la conférence de Menton du 18 mars 2023

Séville, 18 mars 2023 – Tout d’abord, merci à Marianne et bien sûr Marie-Hélène pour avoir gardé la mémoire de Franck et pour cette initiative dans sa ville natale. Je suis sûr qu’il aimerait nous voir se rencontrer pour parler de sa passion : l’Europe. Et le connaissant, j’imagine aussi sa frustration de ne pas pouvoir parler. Je suis désolé, Franck, cette fois on parle.

 

Il est difficile de savoir ce que penserait Franck aujourd’hui. Il savait lire la réalité d’une manière unique. Cependant, si l’on connaît ses convictions et ses caractéristiques personnelles ainsi que ses anticipations, on peut peut-être imaginer ce qu’il dirait.

 

Parmi ses convictions, il y a tout d’abord son combat pour la démocratie européenne réelle, non par idéalisme, mais parce que c’est la forme politique la plus efficace et la plus durable.

 

Deuxièmement, sa capacité d’innovation politique (AEGEE, inventeur de la nuit européenne, programme Erasmus, Newropeans), mais aussi technologique (connexion satellite pour les étudiants dans les années 1980, élections en ligne au début de ce siècle, vision de la traduction simultanée automatique).

 

Troisièmement, son lien avec le local, avec les villes d’Europe et avec le global. Franck était un Européen de Menton qui se sentait citoyen du monde.

 

Et el fin de l’Europe, alors ? Si nous voulons répondre à cette question, soyons réalistes ! Le monde est dirigé par l’argent. Le pouvoir politique est lié au pouvoir économique.

 

Nous ne parlerions pas de la fin de l’Europe si les entreprises de l’Est et de l’Ouest n’étaient pas les plus performantes que les entreprises européennes, n’est-ce pas ?

 

Parce que la perte du pouvoir économique entraîne la perte du pouvoir politique.

 

Si l’on regarde le classement mondiale des entreprises en fonction de leur chiffre d’affaires aujourd’hui, peu d’entre elles sont européennes.

 

De toute façon, le pouvoir de l’Europe reste fort et une partie de ce pouvoir repose sur un niveau très élevé de revenu par habitant. Nous sommes un marché de consommation très fort. Nous avons du pouvoir dans nos poches.

 

Le pouvoir économique de ses citoyens en tant que consommateurs, ce qui n’est pas négligeable.

 

Également, l’Europe a une économie diversifiée, avec des industries fortes dans les secteurs de la fabrication, de la technologie et du tourisme et aussi un tissue de PMEs extraordinaire.

 

En Europe, les PME représentent plus de 99% des entreprises et emploient près de 100 millions de personnes. Elles sont donc un pilier clé de l’économie européenne.

 

Les PME en Europe sont considérées comme un moteur de l’innovation, de la création d’emplois et de la croissance économique. Elles sont souvent très flexibles et agiles, ce qui leur permet de s’adapter rapidement aux changements du marché et de répondre aux besoins des consommateurs. De plus, elles ont souvent des coûts de fonctionnement plus faibles que les grandes entreprises, ce qui leur permet de rester compétitives.

 

En général, l’Europe est considérée comme un environnement favorable aux PME en raison de son régime réglementaire relativement favorable et de ses incitations fiscales et financières pour les petites entreprises.

 

Et nous devons continuer à nous améliorer car de nombreux obstacles existent actuellement. Par exemple, le non-respect de la neutralité fiscale.

 

Nous devons obliger les multinationales à payer les mêmes impôts que les PME. Pas 1 % ou 2 %, mais les 25 % que paient nos entreprises. Si nous ne sommes pas capables de corriger ces dysfonctionnements économiques évidents, nous ne parviendrons pas à la démocratie économique et politique et, tôt ou tard, nous en subirons les conséquences.

 

Le pouvoir économique des écosystèmes industriels autonomes est important et risque de se renforcer à l’avenir. Ces écosystèmes apportent de la richesse grâce à la diversité locale.

 

S’il n’y a pas d’économie fonctionnelle au service d’un lieu, ce ne sera pas un lieu.

 

Mettez votre argent là où se trouve votre vie.

 

Nous avons également en Europe une capacité d’innovation. Des entreprises comme Spotify, Skype, Mastodon ou le vaccin Covid-19 sont nées en Europe.

 

Plus important encore, nous sommes des innovateurs en matière de droits, de protection sociale, de transition écologique… Sur ces sujets, l’Europe gagne.

 

On dit souvent que les États-Unis inventent, que la Chine copie et que l’Europe légifère sur tout. Ce n’est pas complètement vrai, mais le travail de régulation en Europe est important et représente un « soft power » qu’il ne faut pas sous-estimer.

 

Nous partons donc de plusieurs prémisses ou hypothèses.

 

La première prémisse est qu’il semble évident que la dimension européenne-locale est nécessaire et que nous devons articuler nos efforts autour de cette double dimension.

 

La deuxième prémisse est que la démocratie est le système qui fonctionne le mieux pour nous, Européens/Occidentaux, à long terme.

 

Troisièmement, les pouvoirs économiques sont importants.

 

Comment pouvons-nous donc renforcer la démocratie économique au niveau européen ?

 

Nous devons voir l’ensemble du tableau.

 

Nous avons besoin d’une prise de conscience de la société civile et d’un effort commun au niveau européen, mais pas seulement. Et nous revenons ici à l’idée de Franck Biancheri d’une collaboration internationale. Il existe de nombreuses communautés aux Etats-Unis, en Amérique latine, en Afrique, en Australie qui ont les mêmes objectifs.

 

L’Europe fait partie d’un bloc qui est l’Occident, pour le meilleur et pour le pire. Nous devons accepter ce postulat.

 

Nous devons tirer parti des similitudes culturelles et de la proximité avec d’autres parties du monde, en particulier l’Afrique et l’Amérique latine. Il ne s’agit pas de colonisation 4.0 mais de décolonisation 2.0.

 

Sur cette base, celle d’une démocratie économique qui combine les niveaux supranational, régional et local, nous devons ensuite parler à la Chine, à l’Inde, au Moyen-Orient et au reste du monde.

 

Je suis sûr que nous pourrons nous comprendre, car eux aussi trouveront des avantages à cette approche.

 

Est-ce une utopie dans un environnement où les tambours de la guerre battent et où les luttes commerciales et technologiques de haut niveau sont relancées ? Sûrement oui, mais comme aimait à le dire Franck Biancheri, et cela figure sur sa tombe toute proche, nous avons le pessimisme de l’intelligence mais aussi l’optimisme de la volonté.

 

 

Merci de m’avoir invité à cette manifestation et d’avoir supporté mon français désastreux.

 

José Maria Compagni Morales, directeur général DOCENSAS (Séville), cofondateur de AEGEE, cofondateur d’IDE (1989)