« La réflexion sur l’avenir n’a de sens que si elle est permet de mieux réfléchir sur le présent et les tendances qui le façonnent »
(FB - 1998)
« Les forces anti-démocratiques et xénophobes de l’Europe ont toujours été attirées par le rêve d’unité européenne, la mystique de la Rome impériale »
(FB - 1998)
" Etre citoyen est un acte bénévole "
(FB - 2009)

La fin de l’Europe? De la nécessité de décolonisation et de notre politique et de nos esprits – Intervention de Harald Greib à la conférence de Menton du 18 mars 2023

Menton, 18 mars 2023 – Laissez-moi d’abord commencer avec quelques remarques personnelles. Je suis fonctionnaire du gouvernement allemand à Berlin, mais je suis ici en tant que citoyen, citoyen allemand et citoyen européen. Mes positions et mon opinion n’engagent que moi. Je n’exprime nullement une position officielle, cela ne correspondrait ni à mon rôle, ni à ma position.

 

Il y a quelques années, je n’aurais pas cru une telle clarification nécessaire, j’étais jadis convaincu qu’en tant que fonctionnaire, on avait droit à la libre parole, mais depuis la pandémie de Corona et la panique qui a bouleversé nos sociétés, je tiens à le dire plus expressément. Car je pense à cet officier de police qui s’est exprimé lors d’une manifestation contre les mesures du Covid qui s’est vu exposé à une procédure disciplinaire, pour avoir critiqué la politique officielle. Je pense aussi à tous ces manifestants qui brandissaient la Constitution allemande qu’ils jugeaient bafouée que l’on a traité de anti-démocratiques. Les temps sont devenus difficiles pour tous ceux qui ne suivent pas à cent pourcent le droit chemin de l’opinion officielle, c’est-à-dire gouvernementale et relayé par les grands médias.

 

Ceci me rappelle le début de mon engagement européen. C’était en 1994, jeune fonctionnaire que j’étais á époque, j’obtenais le poste très convoité de conseiller pour la politique de coopération policière européenne à la représentation permanente de l’Allemagne auprès des institutions européennes. Il aurait été difficile de trouver quelqu’un plus convaincu du rêve européen que moi.

 

Pour moi, l’avenir européen était manifeste, le dépassement des égoïsmes nationaux, la définition et la poursuite des intérêts européens, un rôle de plus en plus renforcé des institutions européennes, tout cela allait de soi. Mais rapidement, je me suis rendu compte que quelque chose clochait. Dans l’enceinte de divers cercles de discussion à Bruxelles, l’absence totale d’une pensée que je considère essentielle dans tout projet sociétal était criante : La légitimité démocratique.

 

La Commission européenne se contentait de sondages truqués d’opinion publique pour réclamer une telle légitimité. En réalité, et quelques fonctionnaires européens me le disaient ouvertement, les citoyens n’étaient que de troubles fêtes de travers le chemin vers l’avenir radieux de l’Europe, une Europe, dont d’ailleurs ils ne se donnaient jamais la peine de définir ni contenu ni contenant, c’est-à-dire ni attributions administratives ni limites territoriales. Un jour je n’arrivais plus à me cacher le fait d’avoir perdu la foi européenne version Bruxelles, alors une Europe où les institutions européennes étaient roi et les citoyens de simples consommateurs, heureux de vivre dans un marché unique qui rendait les bien de consommation plus abordable, mais dont la volonté politique était quantité négligeable. Le roi soleil disait « L’état, c’est moi », à Bruxelles, on pensait « L’Europe, c’est la Commission ».

 

Comme je suis quelqu’un qui n’arrive pas à fermer sa gueule, je tiens ceci peut-être de mon grand-père qui, sous le troisième Reich, se voyait interdire l’exercice son métier d’avocat, j’étais vite stigmatisé en tant que « eurosceptique » voire « anti-européen ».

 

A l’époque, j’avais la chance de rencontrer Franck Biancheri. Tout de suite, j’étais impressionné par sa culture générale et sa capacité d’analyse politique. Il était capable de voir la politique avec la grande perspective et de connecter des points qui semblaient être sans connexion, pour voir le grand tableau. Ensemble, nous avons milité jusque à sa mort pour la démocratisation de l’Union européenne, jusqu’au point de fonder un parti politique, les Newropeans, et de participer aux élections européennes de 2009.

 

Je veux faire ici une remarque qui pourrait paraitre comme une parenthèse, mais que je vais reprendre dans mes conclusions, donc elle a bien sa place ici. Lors de la campagne électorale, je me suis rendu compte de l’état lamentable des soi-disant grands médias, voire médias de qualité, comme ils se déclarent eux-mêmes. Les journalistes ne comprenaient pas leur rôle en tant que colporteur d’informations, mais de donneurs de leçons, d’arbitre de ce que l’on avait droit de dire et de penser et de ce qui était en dehors d’un discours acceptable. Et le soi-disant processus d’intégration européenne était trop important pour le lester avec une demande irréaliste de démocratisation. Il fallait réaliser l’Europe, même si le prix consistait à sacrifier la démocratie sur l’autel de la sacro- sainte intégration européenne ; une pensée qui justifiait dans leur opinion d’ignorer nos efforts absolument et complètement. Je ferme la parenthèse.

 

Le thème général de notre conférence est : Que Franck Biancheri penserait-il de l’Europe d’aujourd’hui ?

 

Nul besoin de dons surnaturels pour avoir une idée. Il serait choqué, effaré. Mais nullement effondré. Il adorait citer Antonio Gramsci et son fameux adage « le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté. » Et de la volonté il en avait. Mais pour pouvoir agir, il faut savoir où on en est et des quels moyens on dispose.

 

Alors l’Europe, le fameux procès d’intégration européenne, où en sommes-nous ? Les gros légumes européens n’ont que les « valeurs européennes » en bouche. La démocratie en devrait être une, mais je vous ai déjà dit quelle valeur réelle elle représente à Bruxelles. La démocratie est bon pour les Etats membres, mais svp. pas en Europe, où la véritable politique est faite.

 

Quoi de la liberté ?

 

On parle toujours des quatre libertés européennes, libre circulation des personnes, du capital, des marchandises et des services. Ce sont les fondements d’un projet économique qui a réduit le citoyen au rôle de simple consommateur – et pire – qui a effacé le projet politique initiale, qui était la Paix – finir avec les guerres en Europe, entre peuples européens.

 

Mais la guerre est de retour en Europe. On pourrait avoir une perspective étroite et dire c’est la Russie qui a attaqué l’Ukraine et en tire toutes les conséquences d’un soutien infaillible en faveur de l’Ukraine. Mais une perspective plus large serait de dire que c’est une guerre entre les Etats unis et la Russie, avec l’Ukraine en tant que pion dans une partie d’échecs géostratégiques, qui prépare une guerre plus atroce encore, probablement la guerre ultime sur terre, une guerre américaine contra la Chine, une fois la Russie vaincue et démantelée.

 

Au sein de la classe politique dans l’Union européenne et au sein des médias, la perspective étroite est largement majoritaire. D’où une politique de soutien en armes et en argent. Les états membres ont endossé le rôle de soutien du pion, qui, comme quasiment toujours aux échecs, est sacrifié au profit du couple royal.

 

De vouloir prendre du recul et argumenter sur la base d’une perspective plus large expose, au moins dans l’opinion médiatique, aux sanctions d’injure d’extrême droit, d’ami de Putin, d’amoral et que sais-je encore. En Allemagne, les journalistes ont créé des néologismes de gueux pacifiste ou pacifiste de soumission.

 

Selon ma plus forte conviction, aujourd’hui l’Europe se trouve au croisement de chemin déterminant pour sa survie.

 

Sommes-nous prêts à sombrer avec les Etats- Unis ?

 

Ou aurons-nous le courage de nous émanciper de la tutelle américaine qui nous entrainent de guerre en guerre, de la Serbie à la Russie en passant par l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie et la Libye ?

 

Les Etats unis d’aujourd’hui vivent pour la guerre et de la guerre. Son budget militaire est de 13 fois supérieur à celui de la Russie. L’ex président Jimmy Carter avait fait le calcul que dans son histoire d’environ 240 ans, les états unis n’ont pas été en guerre qu’en dix-huit ans. Le journaliste Gore Vidal constatait que les Etats unis sont en guerre éternelle pour une théorique paix éternelle, toujours sous prétexte de lutter pour la liberté et des valeurs, mais en réalité pour les intérêts géostratégiques et économiques.

 

Mais leur système est aux abois.

 

Un surendettement public et privé insoutenable,

une économie qui ne survie que grâce à ces guerres interminables qui sont en général payées par ses allies mis à contribution ou par le vol des ressources des pays conquis,

une cohésion sociale qui a éclaté, d’un côté une classe de riches, de l’autre la grande majorité qui peine à finir les mois, une infrastructure qui s’écroule.

 

Je ne dis point que l’Union européenne se porte beaucoup mieux. Nous avons une tendance de copier les Etats unis avec un retard de 10, 20 ans. Mais nous pouvons encore dire stop et changer de direction.

 

Lors de la crise du Covid, ou comme je préfère dire, lors de la crise provoquée par des mesures politiques contre le virus, on a beaucoup parlé d’une période de de- globalisation, donc de renationalisation des flux de marchandises. Aujourd’hui, il faudrait parler d’une, attention, néologisme, dé- ouesternisation du monde. L’ouest avec son groupe du G7 n’est plus le maitre de l’univers. D’autres acteurs émergent, qui refuse de jouer le jeu selon des règles fixées et manipulées en sa faveur par un groupuscule d’états et d’acteurs économiques. La grande majorité de la planète a refusé de suivre les Etats unis dans sa guerre contre la Russie. Le monde unipolaire avec l’hégémon américain est au bout du rouleau. Le monde de demain sera multipolaire et ceci est très bien ainsi. L’Europe doit y trouver sa place, en tant qu’acteur souverain, conscient de ses propres intérêts, point en opposition de principe contre les Etats- unis, mais pas non plus en tant que son vassal.

 

Que nous empêche d’agir en fonction de nos propres intérêts ? Je le dis clairement comme je le pense :

 

Nous sommes exposés à un système de propagande et de manipulation sans bornes. Les médias, sous contrôle des intérêts financiers et économiques, ont abandonné leur rôle de gardien de nos libertés et contrôleur des puissants, se sont rangés de leur côté et font front commun contre la populace à qui ont prêche la bonne parole. Au fronton du ministère de la vérité de George Orwell était inscrit « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, et l’ignorance est la force.  Aujourd’hui le secrétaire général de l’OTAN peut se permettre de dire que les armes sont la paix sans qu’il soit honni. En ce qui est de propagande et lavage des cerveaux, nous vivons déjà dans un système totalitaire.

 

Nous avons besoin d’une nouvelle ère de Lumière. Nous avons besoin d’un journalisme indépendant des intérêts financiers, économiques et politiques ; un journalisme financé par les consommateurs qui lui font confiance et subventionné si besoin, en fonction du succès et du nombre de lecteurs qu’il réussit à attirer. Même de ce côté, Franck Biancheri avait montré la voix avec la création du Newropeans Magazine sur le web et sa lettre d’anticipation politique sur abonnement, le GEAB.

 

Les philosophes des Lumières nous ont permis de nous débarrasser du joug de l’ancien régime. Aujourd’hui nous vivons sous le joug d’un système économique et financier qui vit de et pour la guerre. Pour retrouver nos libertés et la Paix, il faut s’en débarrasser. L’Europe doit finalement trouver le courage de sortir de la tutelle américaine et de voler sur ses propres ailes.

 

Harald Greib, cofondateur des Newropeans et candidat aux élections européennes de 2009, auteur du livre « Berlin mit Bitte um Weisung » (Hambourg)