« La réflexion sur l’avenir n’a de sens que si elle est permet de mieux réfléchir sur le présent et les tendances qui le façonnent »
(FB - 1998)
« Les forces anti-démocratiques et xénophobes de l’Europe ont toujours été attirées par le rêve d’unité européenne, la mystique de la Rome impériale »
(FB - 1998)
" Etre citoyen est un acte bénévole "
(FB - 2009)

France et Royaume-Uni, deux anciennes démocraties aux procédures bien obsolètes (Franck Biancheri, 2007)

 

… il semble urgent en France et au Royaume-Uni de lancer de vastes réformes des procédures démocratiques (…) faute de quoi les citoyens des deux pays vont de plus en plus se détourner des élections (…) ou aller voter pour des partis extrémistes qui rejettent en bloc la démocratie… (Franck Biancheri, 2007)

[Gilets Jaunes et Brexit] Il suffirait simplement de lire les titres et l’on comprend qu’aucun commentaire n’est nécessaire. Ce que Franck Biancheri écrivait il y a plus de 10 ans s’avère tout à fait juste aujourd’hui. Regardez dans quelle anarchie institutionnelle se débattent actuellement Macron et Theresa May, décriés par leurs peuples, méprisés par leurs pairs…

 

De la course aux parrainages d’élus que sont obligés de faire les candidats à la présidentielle française sur fond de scandale et d’enquêtes policières aux scandales qui entachent toute l’institution de la Chambre des Lords au Royaume-Uni , ces deux anciennes démocraties donnent vraiment l’impression de fonctionner avec des procédures démocratiques totalement archaïques.

 

Et en fait, ça n’est pas qu’une impression : c’est la réalité.

 

En France, listons quelques aberrations au regard des standards démocratiques du XXI° siècle :

 

– Tout d’abord, cette procédure de collecte de 500 signatures d’élus pour pouvoir être candidat à l’élection présidentielle. C’est tout simplement une procédure censitaire qui donne aux partis déjà établis un quasi droit de véto sur toute nouvelle candidature non issue de leurs rangs. Au XXI° siècle, et pour la plupart des démocraties modernes (c’est-à-dire celles construites après la Seconde Guerre Mondiale), comme par exemple l’Allemagne ou l’Espagne, il existe toujours (sinon uniquement) une procédure de sélection des candidatures passant par la collecte de signatures de citoyens. Cinq mille, dix mille, vingt mille, … en tout cas dans autour de ce quantités, c’est bien aux citoyens de décider qui ils veulent voir comme candidat ; et non pas à des élus, hommes et femmes d’appareil de partis ou soumis à des pressions de la part de ces mêmes appareils, qui n’ont pas été choisis par leurs électeurs pour ce rôle. L’actuel système français ressemble étrangement aux procédures des Etats totalitaires où le chef (ou le parti) décide des candidats autorisés. C’est une version « soft » mais très éloigné des exigences modernes de démocratie.

 

– Ensuite, les conditions financières créent en France un autre niveau de fermeture du système électoral français au profit des partis en place. Cette « barrière » est érigée sous de multiples formes. D’abord, l’absence d’un bulletin unique, imprimé et distribué à ses frais par l’Etat, impose aux candidats et listes (comme aux élections européennes) d’imprimer à leur frais les bulletins et de les faire distribuer à leurs frais toujours dans chaque préfecture du pays. Il n’y a remboursement que si un seuil de 3% des voix est franchie. Le système électoral français crée donc ainsi une barrière censitaire d’environ 400.000 Euros et 1 million d’électeurs : et certains s’étonnent du non renouvellement de la classe politique française ! Dans la plupart des démocraties modernes, il y a souvent un bulletin unique où l’électeur coche son choix (ce qui au passage réduit considérablement le coût environnemental de l’élection en diminuant par 5 à 10 le nombre d’arbres abattus pour imprimer les énormes quantités de papier nécessaire à chaque élection). Et dans la plupart de ces mêmes démocraties, l’Etat prend en charge, une fois les conditions de signature de citoyens validées, ces frais de base électoraux. La logique ici est simple : les citoyens décident avant l’élection de savoir qui ils veulent « tester » lors du vote. Alors que dans les démocraties archaïques, comme la France, le système estime que c’est aux élites en place de décider qui peut concourir, d’imposer aux nouveaux venus des contraintes plus fortes qu’à ceux déjà en place et de daigner rembourser les coûts uniquement si un nombre considérable d’électeurs ont finalement soutenu les nouveaux venus. On est bien loin des principes révolutionnaires de 1789 … et très proche de ceux de l’Ancien Régime.

 

D’ailleurs, pour changer un peu de cadre, traversons la Manche.

 

On y trouve là aussi un bien « ancien régime démocratique » qui n’a presque plus rien à voir avec une démocratie moderne du XXI° siècle. La Chambre des Lords n’est que la partie apparente d’un iceberg de vétusté démocratique, même si la nomination de la Chambre Haute reste en terme de régime l’apanage de régimes normalement considérés comme non démocratiques. Mais il y a pire, avec le mode électoral de la Chambre des Communes, qui permet à un parti de remporter plus de 50% de la Chambre avec seulement 25% des voix … comme ce fut le cas pour le Labour de Tony Blair lors de la dernière élection législative. Il ne s’agit plus ici de simples distorsions dues à des systèmes électoraux, mais bien de dysfonctionnements démocratiques majeurs qui, comme en France, confisquent, annulent ou détournent les choix de dizaines de millions de citoyens.

 

Pour conclure, il semble urgent en France et au Royaume-Uni de lancer de vastes réformes des procédures démocratiques, notamment électorales, de nos vieux systèmes démocratiques en s’inspirant des démocraties modernes que sont l’Allemagne, l’Espagne ou encore l’Estonie (qui vient de réaliser une première mondiale avec une possibilité de vote par Internet à ses élections législatives), faute de quoi les citoyens des deux pays vont de plus en plus se détourner des élections (abstention en hausse) ou aller voter pour des partis extrémistes qui rejettent en bloc la démocratie (la tendance est déjà bien présente).

 

Pour aller plus loin en la matière, en proposant une procédure électorale unique pour les élections au Parlement européen, qui sera probablement fondée notamment sur la validation des candidatures sous condition de signatures de citoyens, l’ouverture de possibilités de votes par Internet et la prise en charge par l’UE des frais électoraux de base (comme impression et distribution des bulletins), il pourra s’agir de préparer une démocratisation de l’UE conforme aux attentes du XXI° siècle … et non pas du XIX° comme c’est le cas actuellement en France ou au Royaume-Uni. Et, bien entendu, l’objectif poursuivi est également de permettre la tenue d’une élection européenne pour le Parlement européen et non pas de 27 élections nationales, toutes différentes dans leurs procédures. Lors de l’élection du Parlement européen, le choix d’un citoyen européen doit pouvoir s’exprimer démocratiquement de la même manière sur l’ensemble du territoire de l’UE. Et actuellement ça n’est pas le cas. Cette situation doit changer. Et au passage, qui sait, ça pourra aider les démocraties française et britannique à entrer dans la modernité.

 

Franck Biancheri, (09/03/2007)