« La réflexion sur l’avenir n’a de sens que si elle est permet de mieux réfléchir sur le présent et les tendances qui le façonnent »
(FB - 1998)
« Les forces anti-démocratiques et xénophobes de l’Europe ont toujours été attirées par le rêve d’unité européenne, la mystique de la Rome impériale »
(FB - 1998)
" Etre citoyen est un acte bénévole "
(FB - 2009)

Sur qui vont tomber les briques du mur de Berlin ? (IDE -1989)

PROPOSITIONS POUR UNE POLITIQUE EUROPEENNE

par Franck BIANCHERI, Président d’Initiative pour une Démocratie Européenne (I.D.E.)

 

10 novembre 1989, ça y est! Le mur de Berlin est enfin tombé!

C’est un événement historique pour l’Europe.

Mais, comme tout événement historique très symbolique, il brille d’un éclat aveuglant et cache à l’origine ses multiples conséquences possibles.

Aussi peut-on se demander où vont tomber les briques du mur de Berlin? Quels résultats imprévus et peut-être gênants pour la Communauté Européenne recèle cette soudaine décision.

 

 

L’une des premières retombées est que la Communauté Européenne vient d’accueillir un treizième membre, la R.D.A..

La libre circulation des citoyens de R.D.A. vers la R.F.A. qui leur accorde automatiquement le statut de citoyen ouest-allemand fait de chaque Allemand de l’Est un citoyen potentiel, s’il le veut, de la Communauté Européenne.

En dehors de toute considération sur le caractère souhaitable ou pas ( indubitable pour les Allemands de l’Est ) de cette décision , elle fait éclater aux yeux de l’opinion publique de la Communauté une vérité scandaleuse.

L’arrivée de seize millions d’Allemands de l’Est dans la Communauté s’est faite en quelques minutes par la décision d’un gouvernement qui n’en est pas membre. Personne n’a été consulté: ni les gouvernants de la Communauté, ni les citoyens. Et pourtant, c’est fait.

 

Les douze, y compris la R.F.A. se trouvent donc face à un grave problème qui illustre de manière exemplaire l’incapacité de nos gouvernants actuels à analyser et anticiper les évolutions à l’Est de l’Europe.Et ce n’est que le début de ces bouleversements.

Nos politiques concernant les Européens de l’Est avaient l’inconsistance qui correspondait aux chances inexistantes de voir ces derniers libres de leurs mouvements un jour prochain.

Leur liberté signifie la fin du système politique communiste et implique donc l’extrême urgence de définir et mettre en oeuvre une politique responsable concernant les relations avec eux.

Ce terme de « politique européenne de la Communauté » désigne donc un ensemble organisé d’objectifs, de stratégies et de moyens dont la Communauté Européenne devrait se doter dans ses relations avec les pays européens non-communautaires.

Il s’agit ici de montrer pour quelles raisons précises la Communauté a un besoin urgent de définir une telle politique et surtout imaginer clairement comment elle pourrait la construire et la mettre en oeuvre.

 

On peut reconnaître 6 raisons majeures qui déterminent l’urgence d’une telle politique :

– De nouvelles adhésions sont ou vont être demandées, qui posent des problèmes beaucoup plus complexes que les précédentes car elles engageront la Communauté sur des voies d’avenir différentes selon les réponses données ( ainsi de la Turquie concernant l’adhésion de pays du pourtour méditerranéen, de l’Autriche concernant le problème de la neutralité et d’une éventuelle défense commune, de la Hongrie concernant l’extension de la Communauté vers l’Est, .. Il faut donc dès maintenant songer aux réponses à y apporter et à fonder ces réponses sur des critères dotés d’une large légitimité au sein de la population de la Communauté et s’appuyant sur les principes dont s’inspire la Communauté. Ces exigences ressortent d’une simple efficacité politique en démocratie et du respect dû aux peuples qui demanderont leur adhésion.

– L’achèvement du Grand Marché Intérieur va demander une forte mobilisation des énergies dans la Communauté dans les années à venir. Il faut donc essayer de préparer voire planifier les relations avec les partenaires européens hors Communauté pour éviter qu’une évolution trop erratique de ces mêmes relations ( par exemple, des demandes d’adhésion trop pressantes à un moment inopportun ) n’handicape la réussite des objectifs d’intégration.

– L’éclatement du bloc soviétique et la remise en cause de la division en deux de l’Europe oblige la Communauté à définir des objectifs et des priorités claires dans ses relations avec les pays européens de l’Est.Le cas de la toute nouvelle liberté de circulation entre les deux Allemagne le montre bien.

Tant que rien ne changeait, le problème pouvait être éludé.Mais plus maintenant !

– L’accélération de l’intégration communautaire va rendre le destin de chacun de nos douze peuples encore plus lié avec celui des onze autres.Cela ne manquera pas de susciter des interrogations légitimes pour les peuples de la Communauté qui se trouvent à ses frontières, surtout s’ils sont limitrophes d’autres peuples qui pourraient vouloir demander leur adhésion.La Communauté doit pouvoir répondre rapidement à leurs espoirs ou à leurs craintes en la matière.Elle doit pouvoir leur donner des indications claires sur ses développements éventuels.

– L’accélération de l’intégration communautaire va accroître considérablement le poids de la Communauté en Europe.Nous sentons déjà les responsabilités peser sur nos épaules et nous savons, honteux, que nous ne nous y sommes pas préparés. Il serait irresponsable de ne pas doter d’une politique européenne cohérente et explicite cette entité qui va devenir le géant de l’Europe.

– Toutes ces évolutions condamnent inéluctablement la Communauté Européenne à définir des objectifs et des priorités dans ses relations avec ses voisins européens.Mais il est essentiel, pour respecter les idéaux démocratiques qui inspirent la construction européenne, que cette politique européenne de la Communauté fasse l’objet d’un vaste débat public dans chacun de nos douze Etats car de la politique choisie dépendra le destin de la Communauté.

 

Certaines des causes ainsi évoquées définissent aussi une partie des objectifs qu’une politique européenne de la Communauté pourrait se voir assigner. Il est possible d’en discerner quatre dont trois tiennent à cette politique proprement dite; et un dernier qui ressort de la nature encore inachevée, toujours en construction, de la Communauté et de ses fondements démocratiques:

  • Aider à la stabilité du continent européen en promouvant, par l’exemple vivant de sa construction et de son développement, les valeurs de démocratie, de liberté, de tolérance et de solidarité sur lesquelles se fonde la Communauté.
  • Maîtriser le développement géographique de la Communauté en en définissant clairement les critères et les modalités.
  • Fixer le cadre des relations avec les autres pays européens et apaiser ainsi leurs inquiétudes concernant 1993 et ses développements.
  • Permettre aux citoyens de la Communauté de mieux comprendre sa nature et son évolution en expliquant et illustrant la notion d’intérêt et d’identité communautaires par les cas concrets et facilement compréhensibles que sont les relations avec les autres pays européens. Cet objectif vise en fait à rendre possible la mise en oeuvre des trois autres. Il tient à la quasi-absence de démocratie à l’échelon communautaire et à l’état encore embryonnaire de la conscience européenne dans la population.

Cette politique, qui suscitera facilement des débats d’opinion dans chaque Etat-membre, doit agir aussi comme une pédagogie communautaire. C’est d’abord dans ses rapports à sa famille qu’une personnalité d’enfant se construit. C’est une expérience analogue que vont vivre les citoyens de la Communauté en définissant leurs relations aux autres Européens.

De ces deux « types » d’objectifs devrait découler naturellement une double stratégie, puisqu’il s’agit non seulement de mettre en oeuvre cette politique mais aussi d’en construire parallèlement la légitimité démocratique.

Ce qui veut dire, étant donné l’absence actuelle de débat public européen dans le domaine des politiques communes, inventer des stratégies démocratiques permettant l’existence d’un tel débat. C’est là que l’on voit le caractère essentiel du quatrième objectif.

La nécessité de ce vaste débat public est impérative car une telle politique a besoin d’un large soutien populaire: pour son efficacité externe et pour s’assurer qu’elle répond bien aux aspirations profondes d’une large majorité de citoyens de la Communauté.

Face à de tels enjeux, ce sont les peuples qui doivent s’exprimer sur leur identité. Et leur langue n’est pas de celles que peuvent parler les administrations, les entreprises ou les gouvernements.

Il faut, bien sûr, déterminer, plus classiquement, une stratégie de mise en oeuvre de cette politique européenne de la Communauté, sans oublier qu’en ce domaine, la parole et le discours, s’ils sont honnêtes, sont en soi des outils efficaces… surtout quand ils surgissent après des décennies de silence gêné.

Les outils qui manquent actuellement pour pouvoir mettre en oeuvre cette politique européenne, peuvent ainsi se résumer à cinq:

  • un vaste débat et une prise de conscience publics pour permettre aux hommes politiques de connaître les attentes réelles des citoyens européens dans ce domaine. (pour savoir quoi faire)
  • les critères et outils juridiques et politiques permettant de donner vie à des situations intermédiaires variées entre adhésion et non-adhésion. (pour savoir comment faire)
  • un organe communautaire pouvant décider (au moins de manière autonome dans un premier temps) et agir avec les compétences afférentes. (pour pouvoir faire)
  • une volonté politique clairement exprimée au niveau du Sommet Européen et de la Commission. (pour vouloir faire)
  • un calendrier indicatif incarnant les mots et les concepts dans une réalité compréhensible par tous.  (pour se faire comprendre)

 

En fonction de ces besoins instrumentaux, il est possible de concevoir des méthodes pour les satisfaire.

  • Informer les populations et expliquer aux citoyens de la Communauté la nécessité d’une politique européenne de la Communauté et ses objectifs possibles. L’action doit être menée par la Communauté. Elle doit être ciblée sur les médias et les leaders d’opinion dans chaque Etat. Ce sont en effet les Seuls qui peuvent rapidement sensibiliser les populations à ce problème. On en a actuellement un exemple flagrant avec l’évolution de la situation en Allemagne de l’Est. L’actualité sera porteuse de ce genre de débats dans les années à venir. Alors il faut en profiter. L’information devrait porter sur l’urgence et la nécessité d’une telle politique.

L’argumentation pourrait s’appuyer sur trois raisons majeures:

. l’immobilisme communautaire face aux évolutions à l’Est peut entraîner l’éclatement de la Communauté si certains se détachent des autres par une politique trop en pointe ou au contraire par une politique trop en retrait, du fait de l’absence de politique-cadre commune. Du renforcement de cette cohésion communautaire naîtrait de plus une plus grande capacité de la Communauté à résister à d’éventuelles tempêtes venues de l’Est si la politique de M. GORBATCHEV dérape.

. le danger que représente le « syndrome danois », c’est-à-dire les identités en équilibre instable des peuples frontaliers tels que Danois, Allemands ou Grecs. Ces peuples ont un besoin vital de savoir comment va se développer la Communauté. Ainsi, les Danois se sentent peu concernés par la construction communautaire car leur identité se trouve à mi-chemin entre la Communauté et la Scandinavie. Et tant que la position communautaire vis-à-vis des autres peuples scandinaves ne sera pas clairement énoncée (les accueillera-t-on un jour ? quand ? comment ? ils ne sauront quoi faire avec la construction communautaire: la soutenir ou la bloquer ?). Ainsi les Allemands de l’Ouest, cas extrême, se demandent de plus en plus ouvertement comment ils vont pouvoir concilier leur aspiration à être un peuple uni avec leur volonté d’être membre d’une Communauté Européenne unie.

Tant que la Communauté ne leur aura pas dit sans ambigüité si oui ou non elle conçoit d’intégrer des peuples d’Europe de l’Est dans les vingt années à venir, alors ils verront leur volonté être en opposition avec leur aspiration, n’apporteront qu’un soutien mitigé à la construction européenne et seront tentés de chercher des solutions par eux-mêmes. C’est à la Communauté d’apporter la solution politique qui démontre qu’il n’y a pas un problème allemand, mais deux problèmes différents celui des Allemagne et celui des Allemands…celui qui se résout entre les deux Allemagne seules par la réunification et celui qui se résout ensemble à douze par une intégration européenne accrue destinée à s’étendre aux peuples européens de l’Est qui le souhaiteront dans l’avenir.

Ainsi les Grecs, pour des raisons historiques, démographiques et culturelles, s’inquiètent d’une entrée éventuelle de la Turquie dans la Communauté.Eux aussi ont besoin et ont le droit de savoir quelle voie choisira la Communauté.

Ce n’est pas un hasard si ces peuples ont en commun d’avoir une faible motivation pro-européenne (depuis toujours pour les Danois et les Grecs récemment pour les Allemands car l’évolution historique à l’Est ravive leur besoin d’une identité stable).

La Communauté est un avenir à construire. C’est ce qu’il faut expliquer et prouver en même temps par ce débat public. Laisser les craintes et les espoirs des peuples s’exprimer pour qu’il soit possible de leur répondre. Et leur laisser le droit d’être plus ou moins motivés par l’Europe communautaire selon la réponse qui leur sera donnée.

– Le scandale répété que constitue l’incapacité de la Communauté à répondre clairement et rapidement aux peuples qui demandent l’adhésion parce que personne n’a su définir de critères simples, parce que personne n’a voulu imaginer des solutions intermédiaires aux oui… vous êtes nous! non… vous êtes un étranger! de l’adhésion ou du refus.

Nous sommes comme un club privé dont personne ne connaît les règles de cooptation, pas même les fondateurs.

 

  • Faire que le Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté déclare solennellement, et le plus vite possible, quelle est la ligne directrice de la Communauté concernant ses relations avec ses voisins européens à l’échelle d’une vingtaine d’année.Cette déclaration n’a nul besoin d’être très précise.Elle a vocation à répondre de manière générale aux craintes et espoirs internes et externes en la matière.

Un communiqué commun du type suivant, « Dans les vingt années à venir, la Communauté Européenne a vocation à accueillir en son sein tout peuple européen qui le souhaite et qui respecte et pratique les valeurs de démocratie, de liberté et de tolérance sur lesquelles se fonde la Communauté » aurait, par exemple, deux conséquences majeures:

– supprimer presque instantanément les inquiétudes danoises ou allemandes quand à l’éventuelle incompatibilité entre l’intégration communautaire et leur légitime souhait de préservation de leur identité, tout en inscrivant l’action dans la durée. Cela pourrait même s’avérer être la seule solution politique pour obtenir du gouvernement ouest-allemand que le cas des Allemands de l’Est soit soumis aux règles générales d’adhésion, c’est-à-dire la suppression de l’obtention automatique de la citoyenneté de la R.F.A.

– offrir aux peuples européens qui déjà souhaitent une telle  la garantie qu’ils peuvent imaginer leur avenir dans cette direction sans craindre a priori de s’engager dans une impasse. Vingt ans, c’est le temps d’une génération.Et c’est aujourd’hui que s’amorcent dans les esprits des individus les rêves qui seront demain les projets d’un peuple.Si la Communauté veut avoir rendez-vous vers 2010 avec ces peuples, elle doit toucher l’imaginaire de leurs enfants aujourd’hui.

A l’Est de l’Europe, les peuples entament avec inquiétude leur recherche d’un avenir souhaitable. Leur dire cela, c’est leur affirmer qu’ils ont raison de le faire et baliser cette recherche dans le cadre de la démocratie.

 

  • Réunir une conférence gouvernementale dotant l’institution communautaire de compétences réelles dans la définition et la mise en oeuvre de cette politique vis-à-vis des autres pays européens.

Cela comprend dans un premier temps le renforcement et l’élargissement des compétences du Commissaire Européen aux Relations Extérieures concernant la zone Europe (voire la création d’un Commissariat spécifique) accompagné d’un pouvoir accru du Parlement Européen notamment pour la définition de cette politique avec le vote d’une loi-cadre.

Il est nécessaire aussi de mettre en place la coordination par la Commission Européenne de toutes les politiques nationales en ce domaine, et pas seulement de l’aide économique.

Etant donné l’urgence de la situation, il serait souhaitable que de telles mesures soient prises à l’occasion du prochain renouvellement de la Commission.

Faire l’Europe monétaire rapidement est souhaitable et nécessaire, mais la Communauté peut en maîtriser facilement le calendrier. Alors que dans le cas des relations avec l’Europe de I’Est, c’est l’histoire qui impose ses dates…et on ne peut pas être en retard à ses rendez-vous!

 

  • Créer un groupe de réflexion composé d’hommes politiques et d’intellectuels pour définir avant la fin 1990 de nouvelles modalités d’association, variées dans leur nature et ne conduisant pas automatiquement à l’adhésion pour doter la politique européenne de la Communauté d’instruments souples qui lui manquent maintenant. Ce travail pourrait être enrichi considérablement par une participation du Conseil de l’Europe à la réflexion. Ce dernier ne peut en effet manquer de jouer un rôle majeur dans cette stratégie communautaire.

 

  • Demander au Parlement Européen de produire d’ici le 1 0 Janvier 1991 un projet définissant les critères qui commanderont l’acceptation ou le refus d’une adhésion.

Cet élément est, en fait, la clé de voûte de tout l’édifice envisagé précédemment.Sans lui, rien ne peut être réalisé.

Au-delà des définitions géographiques, culturelles, religieuses, raciales, … qui sont toutes soit insuffisantes, soit inacceptables, il pourrait être envisageable de voir la Communauté se doter de ce qui est en fait une identité en l’ancrant dans ses principes fondamentaux de démocratie.

En occurrence, et plus que la condition de devoir être une démocratie pour rejoindre la Communauté qui est notoirement insuffisante ( sinon pourquoi pas l’Australie ? ) , il s’agit de fonder l’adhésion à la Communauté sur la même démarche qui a conduit chaque peuple fondateur à la construire • le souhait majoritaire de se joindre aux autres et le souhait des autres de l’accueillir pour bâtir l’avenir ensemble.

 

On peut appeler ce processus la double condition démocratique.

C’est-à-dire, qu’au-delà de l’existence de la démocratie dans le pays demandeur, deux conditions doivent être remplies:

– dans l’Etat demandeur, une majorité ( qui pourrait être qualifiée ) de la population s’exprime en faveur de l’adhésion lors d’un référendum spécifique.

– dans la Communauté, une majorité   ( éventuellement qualifiée ) de la population vote en faveur de cette même adhésion dans le cadre d’un référendum spécifique.

 

  • Elaborer, en 1992, un calendrier indicatif définissant les périodes lors desquelles la Communauté souhaite traiter les nouvelles demandes d’adhésion. Cela permet d’illustrer et de communiquer simplement la volonté de la Communauté en la matière.

 

Ainsi, la définition de relations claires, prévues et prévisibles de la Communauté avec ses voisins européens est au coeur d’un ensemble d’interrogations fondamentales sur le devenir et l’essence de la Communauté.

Pour savoir reconnaître son frère, son cousin ou un ami proche, il faut d’abord savoir qui l’on est.

Pour établir des relations fructueuses et stables avec chacun d’eux, il est essentiel de savoir d’abord ce que l’on veut être et comment on veut le devenir.

Ce sont des questions analogues qui n’ont pas encore reçu de réponses en ce qui concerne la Communauté; et c’est pour cela que les actuelles évolutions en Europe de l’Est semblent paralyser la réflexion et l’action communes.

Et c’est de cette paralysie de l’imagination que naissent les tentatives nationales de répondre aux problèmes ou aux opportunités: toutes improvisées, toutes faisant référence à des traditions nationales issues du début du siècle, toutes incapables d’imaginer un autre état de l’Europe que celui des quarante dernières années, toutes susceptibles d’entraîner la Communauté dans des situations délicates voire dangereuses.

Avec les bouleversements en Pologne, en Hongrie, en Allemagne de l’Est, en U.R.S.S., tout le monde comprend que l’histoire reprend son cours sur l’ensemble du continent européen.

Pourtant peu de citoyens de la Communauté ont conscience que depuis trente deux ans, l’histoire était au travail à l’Ouest de l’Europe où s’inventait un modèle politique d’un type nouveau, la Communauté: nouveau car ni une Union, ni une Fédération; nouveau car réalisé entre pays aux lourds antagonismes historiques; nouveau car s’inventant dans la paix au nom de principes démocratiques.

Et de cette absence de conscience concernant la Communauté, naît cette étrange conception, entretenue par les Etats et les classes politiques, qu’elle peut se réaliser et s’ancrer dans l’histoire simplement par une volonté d’Etats et d’entreprises, par des impératifs économiques, sans un soutien actif des peuples qui la composent.

Pourtant tout le monde dit et redit que la réussite des évolutions dans les pays européens de l’Est dépendra avant tout d’un fait un soutien actif aux réformes de la part des populations de chaque pays.

Tout le monde le clame: les changements historiques, s’ils ne sont mis en oeuvre que par le haut, n’ont aucune chance de durer et donc de réussir.

Mais que l’on regarde la Communauté: ce sont les Etats qui la font depuis 30 ans, un peu les multinationales, mais pas les peuples.

Souvenons nous de l’ abstentionnisme record aux dernières élections européennes.

Sans ce soutien actif des citoyens, la Communauté Européenne est condamnée à rester une zone incertaine, peut-être économique…et encore!

Et les actuelles évolutions à l’Est, l’intérêt purement économique porté à la Communauté par l’ A.E.L.E., risquent de figer l’intégration si aucune politique cohérente et volontariste n’est définie et mise en oeuvre rapidement.

Les obstacles sont énormes et les problèmes complexes certes, mais ils demandent pour les résoudre trois qualités essentielles chez ceux qui nous gouvernent: imagination, volonté et confiance.

 

Quand, en démocratie, les situations politiques extérieures deviennent imprévisibles, ce sont ces trois qualités qui peuvent aider à les rendre plus stables.

. De la confiance dans la démocratie résulte l’intention de chercher les réponses dans les aspirations des peuples et donc d’y découvrir les orientations à suivre.

. De l’imagination naît le projet politique qui donne une grille d’analyse des événements et donc la définition des stratégies et des méthodes à adopter.

. De la volonté découle la capacité à mettre en oeuvre la politique choisie malgré les obstacles.

 

Le destin de l’Europe est en train d’échapper aux deux « Grands » et il va venir frapper à la porte des Européens.

Définir et mettre en oeuvre cette politique européenne commune, c’est éclairer brillamment les abords de la Communauté et aider ainsi le destin à en trouver la porte.

Sinon il risque de s’égarer et d’entrer dans le décor factice et passéiste de la « maison commune européenne ».

 

Franck BIANCHERI, 10 novembre 1989

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